Accueil / Actualités / Libéralisation et régulation

Libéralisation et régulation

Libéralisation et régulation : denrée vedette, le riz est sur la sellette

Publié le 15 novembre 2007

Les modes de consommation extravertis des populations sénégalaises placent le pays dans une situation de vulnérabilité inquiétante. Et la récente flambée des prix a révélé les limites de l’Agence de régulation des marchés (ARM) née en septembre 2002, après la liquidation de la Caisse de péréquation. Bien que jouant un rôle de veille, d’alerte et d’anticipation sous la direction de M. Alioune Clissé, l’ARM n’en regorge pas moins d’idées généreuses qui n’attendent qu’à être mises en application pour renforcer la souveraineté alimentaire. Son directeur de l’exploitation Oumar Samba Ndiaye en fait le tour d’horizon.

Pour les experts, la part du riz dans le panier de la ménagère permet de dégager trois modes de consommation : le mode asiatique fait de plus de 80 kilogrammes par habitant et par an ; le mode des pays en développement dans lequel le riz entre pour 30 à 50 kilos ; et le mode européen où l’on en consomme moins de 10 kilogrammes. Avec 70 kg par personne et par an, le Sénégal s’approche chaque jour davantage du mode de consommation asiatique, pour une production locale qui n’a malheureusement cessé de décliner. L’extraversion du mode de consommation ne fait donc l’ombre d’aucun doute pour le directeur de l’exploitation de l’ARM, Samba Oumar Ndiaye qui souligne en même temps que le pic de 130 000 tonnes de riz blanc dans la vallée en 2005 a été suivi d’une chute à 91 000 tonnes en 2006. Cette zone étant le grenier du Sénégal rizicole, en plus des vallées de l’Anambé et de la Casamance, le gap est tel qu’il ferait frémir tout politique soucieux d’anticiper sur les besoins des populations. Selon ce passionné des marchés qui a eu un long compagnonnage avec les filières céréalières, depuis la période de la Caisse de péréquation, la lecture des fluctuations entre les importations et la production est cependant mitigée. En effet, la situation de baisse exceptionnelle des prix en 2003, due à des importations massives qui avaient atteint 1 million de tonnes, a eu des effets dépressifs sur la production locale qui n’a pu trouver de prix rémunérateurs. Cette situation a révélé l’une des faiblesses du marché dont les stocks régulateurs sont entre les mains du secteur privé depuis la libéralisation intervenue en 1996. En effet, les prix ont baissé simplement par la volonté des importateurs, qui pour faire face à la concurrence, qui pour respecter ses échéances bancaires. De sorte que l’ARM n’a eu à intervenir réellement dans la filière riz que cette année 2007, selon M. Ndiaye. « Parce que nous sommes une structure de veille, d’alerte et d’anticipation, chaque fois qu’il y a eu des velléités, nous avons regroupé l’interprofessionnelle du riz pour arriver à un consensus », dit-il.

Absence de stocks de régulation

Pourtant, dès 2004, une nouvelle hausse des prix est intervenue, mais surtout du fait de facteurs exogènes tenant aux fluctuations du marché international et du disponible à l’approvisionnement. Une des raisons essentielles qui poussent M. Ndiaye à saluer le programme d’urgence pour l’autosuffisance en riz initié par l’Etat et budgétisé à hauteur de 13 milliards. En rappelant que lors du Symposium sur la Stratégie de développement des exportations tenu en octobre 2001, le président Wade annonçait l’idée de l’Agence en même temps que la mise en place en son sein d’un Fonds d’intervention et de régulation des marchés, l’expert pense qu’encore aujourd’hui, c’est cette carence qui limite leurs capacités d’intervention. C’est pourquoi, il estime qu’il est temps de s’y mettre à l’instar d’autres pays de la sous-région. L’exemple est tout proche puisqu’il vient de la Mauritanie où la Sonimex a mis en place un fonds et des stocks de régulation par le système PPP avec une participation publique majoritaire. Une urgence devenue d’actualité, d’autant que l’alerte des derniers jours sur le marché a rappelé qu’au Sénégal, l’ARM doit veiller sur la disponibilité de stocks pouvant garantir 2 à 3 mois de consommation, soit 100 à 150 000 tonnes. Quand on sait qu’elle n’y parvient qu’avec les données sur le disponible et les prix, transmises tous les mardis par les importateurs, on comprend le danger.

Dans la même lancée, bien que saluant les avantages de la libéralisation sur l’accessibilité géographique et financière grâce à une bonne spatialisation de la distribution et à l’absence d’inflation, tant sur la qualité qui a suivi les exigences des consommateurs que sur la diversification des origines et des variétés, l’ARM n’en relève pas moins l’absence d’emprise sur le marché international. D’où la suggestion d’une implication de l’Etat, « ne serait-ce qu’à travers la coopération bilatérale, pour l’acquisition de stocks d’intervention à l’étranger », ajoute le directeur de l’exploitation.

Corrélation inversée entre le riz et les autres céréales

Du fait de ce que d’aucuns ont appelé « la tyrannie du riz », les modes de consommation traditionnels ont évidemment subi de profondes modifications au point qu’aujourd’hui, cette denrée occupe 2/ 3 du bilan céréalier dans l’alimentation et près de 20 % des dépenses en nourriture. Mieux, selon les constations faites par l’ARM, même en milieu rural il y a une inversion des tendances depuis bientôt 5 ans. « Les chefs de carré sont aujourd’hui plus enthousiastes à sacrifier à une dépense à base de riz qu’à base de mil, y compris pour le repas du soir », constate M. Ndiaye. Les experts expliquent ce revirement par les avantages comparatifs, parce que le riz est prêt à l’emploi, alors que le mil (souna et sorgho), tout comme le maïs, nécessitent un travail de préparation souvent fastidieux. Mieux, la denrée vedette des ménagères sénégalaises coûte maintenant moins cher et est plus accessible que ces céréales. C’est donc un véritable cri du cœur qui est lancé pour que les Sénégalais inversent leurs habitudes alimentaires. « Car nous consommons ce que nous ne produisons pas et nous produisons ce que nous ne consommons pas », entend-on. De fait, en dehors de l’année exceptionnelle 2003 où le programme maïs a occasionné un boum de 100 000 à 500 000 tonnes, « la production n’a cessé de baisser ». D’abord du fait que l’agriculture pluviale est aléatoire. Mais aussi en raison des comportements qui déteignent sur les prix pratiqués. Pourtant, le Sénégal importe même du mil du Mali et d’aussi loin que l’Argentine. Alors que la consommation des tubercules n’as pas la cote, malgré une subvention de 5 milliards (*) au programme manioc en 2004. Ce, nonobstant, le Sénégal participe activement au Comité d’experts chargés de la mise en place de l’observatoire sous-régional sur les tubercules, comme cela est le cas pour les filières oignon, bétail et viande et fruits et légumes, dont les observatoires ont été récemment installés respectivement à Niamey, à Bamako et à Conakry. De beaux jours en perspective pour le rôle de veille et d’anticipation...

(*) Habib Sy, alors ministre de l’Agriculture, entretien dans Walfadjri

du 1er juin 2004

CEREALES LOCALES

Le « Pamiblé » à l’épreuve

Pamiblé ou Pain riche, le label est le même. C’est un produit qui incorpore des céréales locales, notamment 85 % de farine de blé et 15 % de farine de mil. Et en plus d’être un produit de diversification, le pain - mil - blé est supposé surtout contribuer à promouvoir la consommation des produits locaux. C’est le fondement même des résultats de la recherche qui est mis à mal par les habitudes alimentaires.

« L’Institut de technologie alimentaire a enregistré beaucoup de résultats sur l’utilisation des céréales locales pour créer des produits de diversification ».

Cette affirmation de Mme Ndèye Sèye Doubouya, chef de Division développement et technologie à l’institut de technologie alimentaire (Ita), se vérifie. Comme en atteste la boulangerie de l’Institut de technologie alimentaire, avec ses différents fours, notamment une rotative que nous avons trouvée, tournant à plein régime. Au départ, on l’appelait Pain de mil. Et grâce à des recherches poussées, le Pamiblé ou le pain blé plus connu sous l’appellation « pain riche » a connu bien des améliorations. Un produit dont le chef de l’atelier céréales et légumineuses, M. Ibra Mbaye, est bien fer de faire la genèse. « C’est un pain qui peut être fabriqué par beaucoup de boulangeries locales, parce que plusieurs boulangers ont été formés à la technique », nous apprend t-il.

Entre diversification et substitution

Mais avec une certaine réserve lorsqu’on lui parle de produit de substitution ou d’alternative. « J’évite toujours que l’on dise alternative et substitution de la farine de blé, moi je parle plutôt de diversification. En diversifiant les produits de base de la panification, on permet aux consommateurs d’avoir un choix plus large dans la gamme des produits au point de vu coût - qualité » poursuit notre interlocuteur. Il reconnaît au produit sa valeur énergétique « Le Pamiblé, c’est le Pain - mil- Blé, ou aussi Pain riche, parce qu’il est composé de 85 % de farine de blé et 15 % de farine de mil ; et cela donne un pain qui peut être accepté par le consommateur », soutien le chef de l’atelier céréales et légumineuses à l’Ita. Au départ, on l’appelait appelé « pain mil, alors qu’il était fait à base de 70 % de farine de blé et 60 % de farine de mil. Et c’est grâce au pain riche que l’Institut de technologie alimentaire a été primé au Salon international de Paris de l’alimentation dans les années 1972 - 1974. Plusieurs formations ont été dispensées à l’Ita, notamment celle de 1978 à l’échelon national, à l’issue de laquelle le Président Léopold Sédar Senghor avait exhorté tous les boulangers sénégalais à participer à la promotion du produit pour qu’il puisse entre dans al consommation des Sénégalais.

Production de maintenance

Le Pamiblé a été même officialisé par un décret présidentiel de 1978 avec des tests au niveau de différentes boulangeries de la capitale. « Quand on veut faire consommer un produit il ne faut jamais forcer, il faut essayer de satisfaire au goût du consommateur », pense M. Mbaye. C’est la révision de l’ancienne formule, sur la base des réactions des consommateurs, qui a donné le mot Pamiblé. Et pour des raisons de marketing on lui a donné par la suite le nom de pain riche.

A l’Ita on continue encore de faire une production de maintenance de ce pain à base de farine composée en utilisant toutes les céréales (dont le riz) et même des légumineuses (Niébé, patate, etc.). « On incorpore toutes les farines susceptibles d’être produits au Sénégal pour valoriser la production locale en céréales et légumineuses parce que, pour nous, encourager les populations à consommer local, c’est aussi encourager le producteur à produire », estime M. Mbaye.

« Nous sommes conscients aujourd’hui que le Sénégal n’est pas autosuffisant en céréales, mais je pense qu’il faut aussi enclencher un processus de diversification en utilisant nos céréales locales », estime Mme Ndèye Sèye Doubouya. Celle dernière estime que ce processus peut être très important surtout dans certaines zones rurales éloignées où quelquefois les céréales locales sont beaucoup plus disponibles que la farine de blé. Aujourd’hui, au moment où on parle de la cherté de la vie, elle est d’avis que cela peut être une alternative intéressante. « Beaucoup d’efforts ont été faits et je pense qu’il faut poursuivre dans ce sens-là », estime Mme Doubouya, Créée depuis maintenant une 40e d’année, l’Ita a justement pour mission d’aider les populations à valoriser leurs spéculations locales, gagner de la valeur ajoutée et lutter contre la pauvreté. « Si les populations arrivent à tirer de la valeur ajoutée intéressante de leurs productions, je pense que c’est une forme de lutte contre la pauvreté et l’Ita l’a bien compris depuis 40 ans », affirme le chef de division développement et technologie.

Il est évident aussi que des mesures d’accompagnement sont attendues de l’Etat particulièrement pour mener la sensibilisation et la promotion de ce pain. Le moment est particulièrement indiqué.

Source : Le Soleil du jeudi 15 novembre 2007

Top