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Sanoussi DIAKITE, Président de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’invention et de l’innovation (Aspi) : ‘Le fonio est la réponse la mieux indiquée contre la tyrannie du riz’

Publié le 21 avril 2008

La flambée des prix des produits de première nécessité comme le riz n’est pas une fatalité. L’inventeur de la machine à décortiquer le fonio est d’avis que cette céréale peut tirer le Sénégal des griffes du riz. Ses vertus nutritives sont sans conteste, tout comme sa qualité d’aliment par excellence des diabétiques. Pour changer les mentalités et convaincre le Sénégalais que le ‘thiébou dieune’ (ou riz au poisson) n’est pas incontournable, il faut tout d’abord penser, sans doute, à vulgariser la machine qui soulage la ménagère dans la corvée du décorticage du fonio. Sans quoi, cette céréale aura du mal à supplanter le riz. Président de l’Aspi, M. Diakité et ses collègues préparent un symposium pour juin. Son objectif ? Convaincre les investisseurs à mettre leurs sous dans l’invention.

Wal Fadjri : Le fonio pourrait-il être une solution aux difficultés actuelles de nos pays ?

Sanoussi Diakité : Exactement ! Les moments de crise doivent nous pousser à la réflexion. Il y en a qui disent que le ‘thiébou dieune’ est entré dans nos habitudes alimentaires pendant les travaux forcés où il fallait manger vite. Et le fonio peut régler la difficulté de l’heure. C’est l’aliment, par excellence, des diabétiques. Il est riche en fibres, en acide aminé, facilite donc la digestion et expose moins, en principe, à la constipation. Un Américain m’a dit que ce produit ferait du tabac aux Usa où 70 % de la population souffrent de la constipation. Les régions de Diourbel et de Louga où la pluviométrie est faible ont tout intérêt à se lancer dans la culture de cette céréale. Ça pousse comme de l’herbe, elle n’a donc pas besoin d’engrais. On a intérêt à nous appesantir sur le fonio. Je suis invité au Bénin où on veut lancer un programme fonio. Partout, on réfléchit sur la possibilité d’en faire une alternative au plan alimentaire. Il y a une solution à la tyrannie du riz. Et le fonio est la réponse la mieux indiquée. La machine est un instrument au service du développement de la filière. Je l’ai dit dans une correspondance au président de la République il y a deux ans. Certaines Ongs se sont bien essayées à cela. Elles ont fait un travail remarquable dans ce domaine. C’est le cas de Fodde à Kolda et d’Enda. A Kédougou, des femmes exportent le fonio.

Wal Fadjri : Et vous pensez que la machine aurait impulsé la production de cette céréale ?

Sanoussi Diakité : Je souhaite que le président Wade lance un programme fonio, comme il en a fait pour le maïs. Parce que le fonio a de très grandes potentialités. Cette céréale n’a pas besoin d’entretien, elle pousse sur des sols pauvres et même si la pluviométrie est faible. Elle permet de répondre aux contraintes actuelles où l’on parle de changement climatique. Le fonio est la vraie céréale africaine. Le riz vient de Mésopotamie, le mil, de l’Inde, le maïs est originaire d’Amérique Latine. Notre production actuelle est de 3 000 tonnes, ce qui est largement inférieur à la quantité de riz, soit 600 000 tonnes importées. Mais si nous en faisons un programme, on peut bien franchir ce cap.

Wal Fadjri : La machine à décortiquer le fonio, votre propre invention, est née d’un besoin. Cet engin a-t-il été, pour autant, diffusé ?

Sanoussi Diakité : Le décorticage du fonio est bien pénible. La solution a été trouvée, elle a fait ses preuves sur le terrain. Cette machine a été mise à l’épreuve dans huit pays. Jusque-là, il n’y a pas une machine qui ait fait une plus grande performance. Pour son exploitation, il y a un projet dans ma ville natale, Kolda. Mon ambition est que cette machine fasse renaître le fonio dans les seize pays africains producteurs de fonio. Mais, en plus, je m’attends à la création d’emplois et de plus-value dans ma région. Des études soutenues par l’Agence sénégalaise pour l’innovation technologique (Asit) ont été faites dans ce sens. L’Oapi a fait une étude de faisabilité sur l’unité industrielle prouvant qu’elle (l’unité industrielle) est viable. Maintenant, il reste la mobilisation des fonds pour l’exploitation de cette machine. Ça prend du temps, pas pour l’inventeur, mais pour les opérateurs économiques.

Wal Fadjri : Pourtant, cette machine à décortiquer le fonio soulage bien la ménagère…

Sanoussi Diakité : Cette machine décortique proprement le fonio. Proprement ! La machine fait 8 minutes pour décortiquer 5 kg. A la main, pour 2,5 kg, on met 2 heures dans nos familles. Nous qui connaissons le fonio, si on veut éprouver une femme, une nouvelle mariée, on lui donne du fonio à décortiquer. Parce que c’est un travail très dur. Si la nouvelle mariée s’en sort, on en conclut que c’est une femme, une vraie travailleuse. Ce qui est une qualité fondamentale chez la femme africaine. C’est cette corvée qui a conduit les gens à abandonner le fonio au profit du riz ou du mil. Pourtant, tout le monde reconnaît la valeur nutritive du fonio.

Wal Fadjri : Etes-vous seul dans cette situation d’inventeur attendant l’exploitation industrielle de son invention ?

Sanoussi Diakité : Pratiquement toutes les inventions sont logées à la même enseigne. C’est la raison pour laquelle nous avons dit qu’il faut créer une rencontre entre les investisseurs et les inventeurs. Parce que si l’investisseur n’est pas au courant de l’existence d’une solution donnée à un problème, il ne peut avoir l’idée d’y mettre son argent. Par contre, s’il est au courant et convaincu de la pertinence de la trouvaille, il peut décider d’aller avec l’inventeur gagner de l’argent.

Wal Fadjri : En dehors de la machine à décortiquer le fonio, existe-t-il d’autres inventions qui attendent des opérateurs économiques ?

Sanoussi Diakité : Elles sont nombreuses. Si vous allez au service de la propriété industrielle basée au ministère de l’Industrie, vous vous rendrez compte que bon nombre de Sénégalais et même des personnes morales y ont déposé des brevets d’invention. Dans notre association, il y en a qui font des brevets de renommée internationale. C’est l’exemple d’Abdoulaye Sanokho qui a mis au point un aliment de volaille, il y a aussi Maguette Ndiaye qui a trouvé un produit permettant la conservation au frais de certaines denrées périssables comme le poisson sans recourir à un intrant chimique. El Hadj Kébé a conçu la machine à ‘détégumenter’ l’arachide. Un autre inventeur, en l’occurrence Adama Christian Diop, a réalisé une couche de bébé qui déclenche un signal électrique dès que l’enfant fait pipi.

Wal Fadjri : A quel niveau se situe la difficulté d’exploitation des inventions au Sénégal ?

Sanoussi Diakité : Le ministère de l’Industrie subventionne le dépôt du brevet qui peut, autrement, coûter jusqu’au 1 500 000 F Cfa. Grâce à la subvention, l’inventeur ne paie que 5 %, voire un peu moins, pour encourager le dépôt du brevet. En plus, pendant les dix années qui suivent le dépôt du brevet, l’inventeur est dispensé de taxes. L’intervention du ministère se limite pratiquement aux subventions. Parce que l’invention est considérée comme une affaire privée. Toutefois, ailleurs, ce n’est pas la même conception. En 2000, lors d’un symposium tenu à Dakar, Justin Huk, un Américain, a dit que la protection de la propriété intellectuelle rend un pays riche. Il a pris l’exemple d’une université américaine qui vit des droits des brevets par la cession des brevets à un opérateur. Chez nous, les opérateurs sont timides. Nous voulons leur montrer qu’il y a des opportunités d’affaires. Le risque mérite d’être couru.

Wal Fadjri : Qu’est-ce qui fait que les inventions n’attirent pas les investisseurs nationaux ? Sont-elles en déphasage avec les besoins des populations ?

Sanoussi Diakité : Il faut savoir qu’on n’invente que pour le présent. Le téléphone inventé par Thomas Edison est dépassé aujourd’hui. Il faut reconnaître que le produit inventé suit un processus assez long, avant d’être proposé à la diffusion. Pour le cas de ma machine à décortiquer le fonio, elle a été testée pendant vingt-trois mois au Mali, en Guinée et au Sénégal, avant qu’on se convainque qu’elle est viable. Les opérateurs économiques et les pouvoirs publics doivent se convaincre d’une chose, c’est que l’invention participe à l’accélération de la croissance. Un produit nouveau, c’est de l’exclusivité.

Wal Fadjri : N’y a-t-il pas un complexe des opérateurs vis-à-vis de nos produits ?

Sanoussi Diakité : C’est clair ! On ne regarde pas du côté de nos inventions. L’idée généralement répandue est que l’Afrique n’a rien apporté au monde au plan technologique. Pourtant, il est admis que la créativité est une ressource mondiale. Il n’y a pas de peuple qui en soit privé. Mais comme on ne valorise pas nos créations, on a l’impression que c’est le vide. C’est pourquoi l’idée du président Wade de créer un musée de l’invention me semble important. A l’Aspi, nous soutenons ce projet et nous sommes prêts à nous investir pour sa réalisation. Cette structure permettra aux gens de se faire une idée du chemin parcouru de l’invention depuis le téléphone d’Edison, par exemple. Pour ce qui me concerne, le prix que j’ai gagné est le fruit d’une compétition serrée. Il y avait 113 pays avec 2 300 candidats, à travers le monde, qui ont participé au concours. C’est pour vous dire que nous n’avons pas de complexe à faire vis-à-vis de l’extérieur. Et ils sont nombreux au Sénégal, tel l’architecte Mbacké Niang, titulaire de trois à quatre brevets, à avoir des distinctions de renommée internationale. En fait, l’Etat peut, à titre illustratif, montrer aux opérateurs économiques qu’il est possible de s’investir dans le créneau et d’y faire fortune.
Wal Fadjri : Pour ce qui concerne la machine à décortiquer le fonio, on sait que beaucoup de pays sont intéressés. Avez-vous senti de leur part un intérêt à voir la machine sortir d’usine ?

Sanoussi Diakité : De toutes les façons, la machine est plus demandée à l’extérieur qu’au Sénégal. Mais, il se trouve que je n’ai pas pu répondre à ces sollicitations, faute d’unité industrielle ici dans notre pays. A maintes reprises, des gens m’ont appelé du Bénin, du Togo, de la Gambie pour me dire qu’ils ont besoin de la machine.

Wal Fadjri : Vous préparez un symposium. Quels en sont les objectifs ?
Sanoussi Diakité : Ce symposium entre dans le cadre de ce que nous appelons les Rencontres biennales de l’Aspi. Je suis le président de l’Association sénégalaise pour la promotion de l’invention et de l’innovation (Aspi). C’est une association créée depuis 1986 et qui a regroupé des inventeurs et des acteurs qui interviennent dans la promotion de l’invention au Sénégal. C’est une association qui a pour objectif de promouvoir l’activité inventive au Sénégal et faire en sorte que les droits de propriété soient obtenus le plus largement possible par ceux qui ont l’esprit inventif et qu’il y ait au Sénégal un dépôt en nombre le plus important de titres de propriété à l’Organisation africaine pour la propriété intellectuelle (Oapi). Cette année en est la première édition. C’est parti d’un constat. C’est qu’il y a de nombreuses inventions au Sénégal, mais leur exploitation industrielle fait défaut. Or il faut savoir que l’invention est une chose, l’exploitation en est une autre. L’exploitation implique d’autres acteurs que sont les promoteurs économiques. Le moteur Diesel, par exemple, a été inventé par un nommé Diesel, mais celui qui l’a fait connaître est un industriel. Ce dernier a investi son argent dans la réalisation et la vulgarisation du moteur.
Wal Fadjri : Qu’est-ce qui fait que l’invention a du mal à trouver des candidats à sa diffusion ? D’autant que l’invention est le plus souvent le fruit d’un besoin exprimé par la société.
Sanoussi Diakité : Effectivement, on dit que nécessité est mère d’invention. Pourquoi alors l’invention n’est pas exploitée de manière soutenue ? C’est parce que, dans nos pays, on ne se préoccupe pas beaucoup de notre propre potentiel. On est pris, d’une part, dans le piège de la consommation de produits extérieurs et, d’autre part, les opérateurs économiques n’ont pas la tradition et le réflexe d’aller chercher des opportunités d’affaires dans les inventions. Contrairement aux autres pays où les opérateurs économiques sont constamment à la recherche de nouvelles choses à mettre sur le marché.

Source : Walfadjri du lundi 21 avril 2008

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