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ENTRETIEN AVEC …. Astou Diao Camara, Directrice du BAME de l’ISRA « Les défis sont tels qu’on ne peut plus faire l’économie d’une évaluation rigoureuse de l’Acte 3 de la décentralisation »

La chercheure Astou Diao Camara, Directrice du Bureau d’analyses macro-économiques (Bame) de l’Isra (Institut Sénégalais de Recherches Agricoles) pense qu’il urge de faire une évaluation rigoureuse de l’Acte 3 de la décentralisation. Elle revient sur tout : enjeux de la réforme, acquis, faiblesses et défis à relever. Entretien réalisé par Abdoulaye DIALLO, journaliste au quotidien Le Soleil

Publié le 6 octobre 2022

Le 26e « Mardi » du Bame, tenu mardi dernier, porte sur Décentralisation : où en est-on. Pourquoi le choix d’un tel thème ?

C’est un sujet d’actualité. Je dois même relever que c’est le deuxième « Mardi » du Bureau d’analyses macro-économiques (Bame) sur le même thème. On en avait déjà organisé un, en 2013, au lendemain de la promulgation de la loi. Et à l’époque, on avait convié des juristes et des spécialistes pour nous expliquer la réforme. L’histoire du texte, ses implications, les défis et enjeux. Tout cela avait fait l’objet d’échanges. Le sujet nous intéresse parce que nous travaillons en même temps sur des thématiques comme le foncier, les projets de développement au niveau des territoires portés par les Collectivités. L’idée était de mieux comprendre qu’est-ce qu’une loi qui permettait de donner plus de pouvoirs à des communautés rurales qui passent au statut de communes. Qu’est-ce que cela pouvait impliquer ? C’était très intéressant. Et les invités parmi lesquels des maires avaient beaucoup apprécié.

Pourquoi poser ce débat sur la décentralisation au niveau de la recherche agricole ?

Les gens doivent savoir qu’à côté de la recherche agronomique pure au niveau des parcelles, de la recherche menée par nos collègues sur la pêche et les recherches sur l’élevage, l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (Isra) mène des recherches de type sciences humaines et sociales, notamment dans les sciences géographiques, les politiques publiques et l’économie confiées au Bureau d’analyses macro-économiques (Bame). Et dans ces sciences, tous les projets de recherche-actions que nous avons, nous les menons avec les acteurs des territoires. Avec comme positionnement très clair depuis plus de trente ans parce que le paradigme a changé. Il s’agit de réfléchir le développement avec les acteurs du territoire. Nous sommes de la recherche et notre mission première, c’est de produire de la connaissance et d’utiliser ces connaissances pour alimenter les débats publics, éclairer les décisions des différents acteurs, mais également accompagner ces mêmes acteurs sur le terrain. Nous aidons plusieurs acteurs avec qui nous travaillons à comprendre, à documenter des processus et les résultats scientifiques obtenus doivent être traduits en informations utilisables par le citoyen, le décideur, le producteur et le Maire. Le Sénégal est un pays où la moitié de la population vit en milieu rural, et qui dit milieu rural dit activités agricoles. Et on ne peut pas accompagner une construction de politique agricole sans réfléchir avec les acteurs des territoires. C’est pourquoi l’Acte 3 de la décentralisation, qui consacre plus de ressources, plus de pouvoirs à ces acteurs nous intéressent au premier point. Et ces dernières années, il y a eu beaucoup de réflexions sur comment produire mieux et plus. Avec notamment les thématiques de l’agriculture durable, de la protection de l’environnement, de la gestion durable des terres. Et toutes ces thématiques sont laissées entre les mains des acteurs des territoires. On a des politiques très ambitieuses, éparpillées dans différents ministères, mais quand on arrive sur le terrain, nous chercheurs, faisons face à des acteurs qui ne comprennent pas souvent les enjeux et qui ont des réalités qu’ils vivent et qui attendent des politiques intégrées. Pour nous de la recherche, le territoire, c’est le lieu de construction du devenir, du développement. Et si on parle d’agriculture durable dans ces lieux de construction du devenir, il faut voir comment le construire avec ces acteurs, quel accompagnement quand on sait que les acteurs les plus proches sont les Collectivités territoriales. Il nous importe de voir comment les Collectivités territoriales sont à même ou pas de porter ces projets de développement. Il fallait donc interroger l’Acte 3. Et c’est ce que nous avons fait de différentes manières.

L’Isra vient justement de réaliser une étude de cas portant sur deux communes. Quels enseignements retenir ?

L’étude a fait l’objet de partage à l’occasion de la 26e édition des « Mardi » du Bame. Elle porte précisément sur Ndiob (Fatick) et Darou (Niayes). Deux communes qui sont très différentes et très contrastées. L’idée était de voir l’effet de l’Acte 3 sur des actions de développement menées sur le terrain. L’étude revient sur les domaines de compétences, montre ce qui était prévu, ce qui a été effectivement réalisé, les contraintes et les défis. Nous avons regardé dans ces deux communes la réalité de l’Acte 3 de la décentralisation. En mettant un focus sur la gestion durable, le fonctionnement des exploitations agricoles, les progrès et les faiblesses enregistrés. Une esquisse du projet visant à rajouter cinq compétences supplémentaires. Est-ce nécessaire ? Difficile à dire.

Justement, en termes de bilan, que retenir de l’Acte 3 de la décentralisation ?

Je dirai que le bilan est mitigé. Il y a des choses assez bien réussies. Aujourd’hui, toutes les Collectivités locales sont d’égale dignité. La communalisation intégrale a été une excellente chose. Les communes ont des marges de manœuvre pour construire leurs projets, articuler leurs moyens et ressources. Et elles peuvent se mettre ensemble pour booster leur développement. Elles disposent également de compétences. Au sein de chaque département, on a des services techniques qui sont mobilisables par ces communes pour travailler. Donc, ce sont beaucoup d’aspects positifs, des portes qui ont été ouvertes et qui peuvent améliorer la situation des communes. Mais ces acquis ne sont rien comparés aux problèmes. L’essentiel des communes peinent à décoller. Embourbées dans des difficultés d’ordre financier et technique. Mais actuellement, on constate une dispersion des moyens, sur des sujets pas forcément prioritaires et donc qui n’impactent pas le développement local.

Quelles sont les recommandations formulées par le Bame pour permettre aux communes et départements d’être complétifs et viables ?

Des bilans et évaluations ont été faits. Mais nous pensons qu’il urge de faire une évaluation rigoureuse de l’Acte 3 de la décentralisation. Les défis sont tels qu’on ne peut plus faire l’économie de cette évaluation. Et ce ne sera pas compliqué de faire ce travail parce que tous les acteurs sont là. Il est aujourd’hui important de réorienter les choses, de voir là où le bât blesse. L’Isra, à travers le Bame, se propose d’ouvrir les débats. Une équipe est en train de se constituer autour de la territorialisation des politiques publiques. L’idée est de voir comment structurer à l’échelle du pays un collectif de recherche-actions qui puisse accompagner la réflexion et mettre sur la table des décideurs et du citoyen des résultats des recherches utilisables. Le travail entamé favorisera la réalisation d’études de cas qui alimenteront la réflexion sur la question.

Que cherche l’Isra en travaillant avec les Collectivités locales ?

Les Collectivités locales sont nos partenaires. Les projets de recherche-actions que nous construisons et que nous menons, nous les construisons avec tous les acteurs des territoires. Et les collectivités sont les premiers acteurs avec qui on échange. L’Isra organise chaque année ce qu’on appelle la pré-programmation de sa recherche. Cette pré-programmation vient de se terminer. Nos équipes étaient récemment sur le terrain, à la rencontre des acteurs des territoires pour échanger avec eux sur les besoins de recherche. On l’a fait sur tout le territoire et on l’a organisé par grandes zones. J’étais personnellement dans la zone sud et sud-Est (Casamance et Sénégal oriental) avec tous les autres chercheurs qui travaillent sur les filières arachide, coton, riz pluvial. Et c’était une occasion de se réunir avec les Collectivités locales, les services techniques et les organisations de producteurs pour construire les besoins de recherche. Ce sont ces besoins qui doivent être traduits en projets de recherche et soumis à des guichets pour financement. Aujourd’hui, nous déroulons tous nos projets de recherche avec des Collectivités locales.

Pouvez-vous nous citer des Collectivités locales avec lesquelles vous travaillez ?

Fatick, Matam et d’autres Collectivités locales dans les Niayes. Nous avons fait, il y a un an, une prospective avec le département de Fatick. C’était une réflexion qui consistait à voir quel sera l’avenir de Fatick d’ici à 2035. Ce travail a été fait avec un panel d’experts s’activant dans plusieurs domaines et qui habitent réellement dans la Collectivité. Au total, une trentaine de personnes ont été sélectionnées (journalistes, femmes au foyer, commerçants, maires, conseillers). On les a accompagnés à réfléchir des scénarii d’avenir. Le processus de réflexion a été très intéressant. Ils sont sortis du quotidien pour imaginer un futur de leur localité à partir d’un diagnostic. Une fois ce scénario produit, on a enclenché le processus pour les accompagner à voir comment on trace des chemins pour éviter des futurs pas souhaitables pour aller à des futurs souhaitables. C’est dire qu’on accompagne les acteurs jusqu’à l’obtention d’un plan d’actions avant de passer le relai à d’autres types d’acteurs.

Quel sens donnez-vous à l’organisation de journées de ré flexion sur des thèmes d’actualité ?

C’est simple. Le Sénégal est dans un contexte où le débat est totalement gagné par les opinions. Les gens disent ce qu’ils pensent, pas ce qu’ils savent. Posant un véritable problème dans la compréhension des choses. On a aussi fait comprendre aux chercheurs qu’ils ne communiquaient pas assez. Et pour l’Isra, il était important d’apporter sa contribution pour une large et bonne compréhension des politiques, des réformes, des défis et des enjeux. Voilà qui justifie l’organisation des « Mardi » du Bame avec un accent particulièrement mis sur les sujets qui intéressent les acteurs du monde agro-sylvo-pastoral et halieutique. Nous avons voulu donner de la place aux gens qui connaissent et qui ont fait des recherches, le but recherché est évidemment d’éclairer l’opinion et les décisions. Ces « Mardi » sont organisés depuis 2013. Nous pensons pouvoir les continuer pour exposer les résultats des recherches, offrir la possibilité à des spécialistes qui viennent débattre sur des sujets précis d’actualité. Le prochain sujet portera sur les Ogm (Organismes génétiquement modifiés).

Outre ces journées de réflexion, quelles sont les autres activités déroulées par le Bame ?

Le Bame, et l’Isra globalement, a pour mission de produire des connaissances. Beaucoup pensent que notre mission s’arrête à la production des semences. En réalité, cette production de semences est une partie de ce que nous faisons. À côté, on a toute une recherche sur la qualité, la fertilité des sols, la recherche sur la production animale et halieutique. Et l’équipe du Bame est spécifiquement chargée de mener la recherche sur les domaines socio-économiques, les sciences et les politiques publiques. Notre mission première, c’est d’éclairer la décision de plusieurs types d’acteurs. Le premier acteur à qui on doit éclairer la décision, c’est le décideur politique qui est à plusieurs échelles, allant de la Collectivité locale au Président de la République. Donc, c’est toutes les échelles de décisions de politiques publiques. Ensuite, nous devons éclairer les décisions des acteurs des filières agro-sylvo-pastorales et halieutiques. Nous avons des travaux sur le foncier, sur les productions agricoles. Nous cherchons à comprendre les performances, les raisons des contreperformances. Nos recherches portent également sur les leviers et freins à la transition agro écologique, sur les filières de céréales. Fondamentalement, notre travail est nourri de données de terrain.

Source : www.lesoleil.sn

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